ORELIE
Ier avoué et roi d'Araucanie
français, né sous le nom de TONNEINS, vers 1820,
a Chourgnac, prés Périgueux.
- Des sa plus tendre enfance, il annonça de grandes dispositions
pour le métier de roi. Ainsi, par exemple, quand il faisait
la dînette avec ses petits camarades, il fallait toujours
que chacun d'eux lui donnât une part de ses confitures afin
qu'il en eut huit fois plus que les autres. Si l'on partait en
bande pour marauder dans un verger, il prenait crânement
le commandement de la troupe; puis, quand on arrivait aux pommiers,
il faisait monter les autres dessus et croquait tranquillement
au. pied de l'arbre les fruits que ses sujets cueillaient au risque
de se casser les reins. - Son grand plaisir était de se
faire des couronnes en papier doré. - Comme il avait un
certain petit air de majesté impertinente, il était
parvenu a se faire prendre au sérieux par quelques-uns
des gamins timides de sa classe ; mais il s'en rencontrait de
temps en temps un plus dégourdi qui, sans aucun respect
pour le droit divin, flanquait une tripotée a son Roy quand
celui-ci n'avait pas voulu faire le pot-de-chambre a son tour
en jouant aux quatre coins.- Cependant les gouts du jeune Orélie
s'étaient développés , et quand vint le moment
de faire choix d'une carriere, il n'hésita pas a déclarer
qu'il n'avait de penchant que pour la profession de monarque.
- Sa famille lui fit observer qu'il était bien difficile
de s'établir dans cette partie , tres-tombée d'ailleurs
depuis plusieurs années, - et engagea Orélie a se
contenter d'un a peu pres en se faisant tout simplement avoué.
- Orélie se rendit a cet avis, pensant que c'était
encore un moyen d'entrer au palais. - Mais bientôt sa vocation
reprit le dessus et sa charge devint pour lui un véritable
fardeau. - II jeta un rapide coup d'oil autour de lui-sur tous
les trônes de l'Europe. Aucun n'était libre!... Il
constata meme qu'indépendamment du monsieur qui ccupait
chacun d'eux, il y en avait dix-sept ou dix-huit autres qui attendaient
leur tour, et dont quelques-uns môme, trouvant qu'il ne
venait pas assez vite, étaient occupés a aller au-devant.
- II n'y a rien a faire dans cette partie du monde, pensa-t-il,
et il s'embarqua pour l'Amérique, espérant trouver
la-bas quelque peuplade primitive a laquelle -il pourrait aisément
démontrer a quel point elle était en retard sur
la civilisation en ne se faisant pas couvrir de vexations et d'impôts
par un bonhomme bien mis qui la regarderait travailler. - Orélie
avait eu le soin d'emporter avec lui tout un chargement de verroterie,
de bibelots et d'ustensiles français sur l'effet desquels
il comptait pour épatrouillenbéanter les habitants
de cette contrée revée : allumettes chimiques, horlogerie,
souris mécaniques, flageolets a surprise de Choumara, appareils
photographiques, glacieres de famille, irrigateurs, etc... Il
avait dans sa malle cent cinquante fois de quoi passer pour sorcier
aux yeux de gens qui ne connaissaient pas les mouchoirs de poche.
Orélie trouva facilement son affaire. Les Araucaniens,
au milieu desquels il se fixa bientôt, étaient une
peuplade neuve, ayant conservé les saines traditions d'une
crasse intellectuelle de la force de cinquante abonnés
du Pays. Il commença a se bien faire venir d'eux, en faisant
leur photographie. Peu a peu, il s'insinua dans leurs affaires
et se fît une grande popularité, tantôt en
faisant cadeau l'un d'eux d'un morceau de papier de verre pour
faire disparaître ses marques de petite vérole, tantôt
en donnant a un autre un moyen de se débarrasser de sa
belle-mere. - II se donnait d'ailleurs beaucoup de mal, montrait
la lanterne magique aux Araucaniens, leur organisait des sociétés
orphéoniques, des courses de vélocipedes, leur apprenait
a faire l'habsinthe tres-épaisse, a imiter Brasseur, etc...
etc... Bref, il fut bientôt l'idole de ce peuple, et n'eut
plus qu'a choisir son moment pour en faire ce qu'il voudrait.-Nos
lecteurs trouveront sans doute que quelques renseignements sur
l'Araucanie ne sont pas déplacés ici. L'Araucanie
est un pays d'une fertilité admirable, ou on est obligé
de ne travailler la terre qu'avec des gants pour qu'il ne vous
pousse pas instantanément du trefle entre les doigts...
les fruits y sont énormes ; on ne se sert jamais de tonneaux
pour enfermer le vin : on le met dans des noix du pays que l'on
a vidées; chaque coquille tient 228 litres. L'Araucanien
a droit a quatre femmes : une seule est légitime ; les
trois autres sont naturellement plus supportables. L'Araucanien
est fort, vigoureux, adroit, excellent cavalier; il lance beaucoup
mieux le lasso que les actrices et aime par-dessus tout la vie
nomade dedans.- Enfin en 1861, Orélie jugea le moment arrivé
de frapper le grand coup du plébiscite et fit distribuer
aux Araucaniens ébahis trente mille douzaines de faux-cols
qu'il avait conservés pour cette épreuve solennelle.
L'ivresse de ces braves gens ne connut plus do bornes et Orélie
fut proclamé Roi d'Araucanie. Son premier soin fut de tenter
d'organiser son royaume a la française ; mais l'argent
manquait. Il fit ouvrir en France une souscription qui n'obtint
guere plus de succes qu'un drame a l'Ambigu sous la direction
de M. Billion. Cependant les conditions de l'emprunt étaient
engageantes et surtout originales : Pour éviter toute contrefaçon
des titres, chaque obligation devait etre tatouée sur la
poitrine du souscripteur. L'intéret reluisait sur le pied
de 18 pour cent et, a chaque trimestre, l'obligataire devait aller
se faire détacher son coupon en pleine chair s'il voulait
toucher ses 3 francs 50. - Un événement inattendu
vint encore ébranler le crédit de cette superbe
opération naissante: le Chili déclara la guerre
au nouveau Roi, prétextant qu'on ne faisait pas ces betises-la
une fois le carnaval passé ; et avant qu'Orélie
n'ait eu seulement le temps d'envoyer chercher son ministre de
la guerre qui était au café, il était pris,
enlevé, transporté a Santiago et condamné
a etre enfermé dans une maison de fous, jusqu'a ce que
sa famille le réclamât. - Renvoyé en France
avec des compresses d'eau sédative sur les tempes, Orélie,
comme tout souverain décoré qui se respecte, protesta
énergiquement contre cet abus de la force qui le privait
d'une belle position. Il publia un livre dans lequel ses droits
a la couronne d'Araucanie étaient établis de façon
a rendre dix-huit points de vingt-quatre a ceux d'Henri V au trône
de France. - Depuis, et bien qu'il n'ait pas renoncé a
ses droits, Orélie Ier se recueille et attend les événements
qui doivent un jour ou l'autre le replacer sur son trône.
- Pendant le cours de toutes ces péripéties, Orélie
eut a essuyer un grave désagrément. Profitant d'une
de ses absences de son royaume, un nommé Planchut, croyons-nous,
se prétendit aussi roi d'Araucanie. On raconte que ce Planchut,
ayant appris qu'Orélie avait subjugué les Araucaniens
avec des bibelots provenant de notre civilisation, aurait poussé
l'indélicatesse jusqu'a faire venir de Paris une masse
d'objets nouveaux a treize sous qu'il aurait distribués
a profusion. Ce rastel de la derniere heure aurait completement
réussi et les Araucaniens se seraient écrié
: Le Planchut bon bougre... li donné jolis petits lapins
musique. Orélie gâteux ! li pas bazar aussi chic
! Ce qui est certain, c'est que le démelé Orélie-Planchu
fit onze fois le tour de la presse française et qu'il fut
meme un instant question d'un duel effroyable entre les deux rivaux.
On devait se battre au lasso en plein Champ-de-Mars. Mais les
témoins que l'on devait faire venir d'Araucanie : Prunelle
de vautour, Dent de chacal, Coco vorace et Croq tou Kru,
n'eurent pas d'argent pour faire le voyage.
Au physique, Orélie Ier est un homme au visage assez expressif.
- A part sa toquade d'avoir choisi, pour essayer de créer
un nouveau royaume, le moment ou l'on commence sérieusement
a supprimer les rois, ce n'est pas un mauvais diable. - Il est
toujours a la recherche de quinze cents francs pour restaurer
sa liste civile ; mais les capitaux sont ombrageux et se reculent
avec empressement d'un genre d'opérations qui, - depuis
le lancement des obligations mexicaines, - paraît offrir
si peu de chances de dividendes. |
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