" Les misérables qui m'ont livré
n'ont eu pour mobile que les 230 piastres (1,250 fr.) promis
par l'intendant Saavedra.
Voulant déguiser leur trahison, ils ont mis à
ma charge les paroles de guerre prononcées par les Indiens,
qui m'ont maintes fois répété qu'ils regarderaient
les Chiliens comme leurs ennemis, tant que les populations établies
sur la rive gauche du Bio-Bio ne se transporteraient pas sur
la rive droite, et que, si ce mouvement ne s'opérait
pas de bon gré, ils le feraient exécuter de force.
A quoi je répondais qu'il fallait prendre patience, et
qu'aussitôt nommé roi, je réglerais le tout
amiablement. " Voilà, Monsieur, les seules paroles
qui soient sorties do ma bouche à ce propos. Je proteste
donc, comme je l'ai fait depuis mon arrestation, contre la violation
de ma liberté individuelle, contre la violation de ma
personne et des droits y attachés, tant comme particulier
que comme roi d'Araucanie et de Patagonie, enfin contre la violation
du droit des gens, attendu que tout peuple naît ou doit
naître libre par droit naturel, et qu'il peut disposer
de lui comme il l'entend.
" Or les Indiens d'Araucanie et de Patagonie m'ont librement
proclamé leur roi et ont adopté mon drapeau bleu,
blanc et vert. Nous n'avons fait, les uns et les autres, que
ce que nous avions le droit de faire, les Araucaniens et les
Patagons en me conférant le pou-
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voir, et moi en l'acceptant.
" LeChili n'a jamais eu aucun droit sur ces deux pays,
ni par conquête, ni par soumission volontaire; ses lois
y ont toujours été méconnues; donc, je
ne pouvais les violer ni directement ni indirectement.
" Le gouvernement chilien reconnaît publiquement
et solennellement l'indépendance de l'Araucanie : il
forme des projets et dresse des plans de conquête. Songerait-il
à la conquérir, si elle était sous sa main?
- II parle de frontiêres entre le Chili et l'Araucanie
: ces limites ne signifient-elles pas que là s'arrête
le Chili ?
" Tous les écrits qui concernent l'Araucanie ne
font que confesser et consacrer son indépendance. Il
n'est pas un seul Chilien que, dans le tête-à-tête,
vous n'ameniez à la reconnaître. Mais le gouvernement
argue de la constitution : celle-ci donne purement et simplement
l'Araucanie au Chili. D'accord, mais cet article de la constitution
n'est qu'une lettre morte, puisque l'Araucanie n'y a pas adhéré,
et que le Chili ne peut l'y faire adhérer de force.
" Ainsi donc les Araucaniens, comme les Patagons, avaient
le droit de me nommer leur roi, et j'avais le droit d'accepter,
pour moi et les miens, le pouvoir qu'ils me conféraient,
eux, qu'aucune nation n'avait pu dompter°."
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